Narcotrafic : une lutte globale

Nous, adhérents de la section Nice Ouest du PS, militons entre autres dans un quartier parfois rendu tristement célèbre jusque dans la presse nationale : le quartier des Moulins.

En effet, depuis plusieurs années, les habitants de cette cité HLM, en plus de leurs difficultés malheureusement habituelles pour ce genre de population, sont confrontés au fléau du narcotrafic. C’est un phénomène puissant, virulent, inventif et méthodique. Certains journalistes et commentateurs n’hésitent pas à parler de narcoterrorisme, et l’assassinat à Marseille du frère d’Amine Kessaci est est une déchirante illustration.

Quotidiennement, les habitants des Moulins sont témoins du commerce continu de produits stupéfiants, processus qu’ils pourraient décrire par le détail puisqu’il se déroule sous leurs yeux, au vu et au su de tout le monde. Ils vivent les détours obligés par les barrages érigés tantôt par les trafiquants pour compliquer la tâche de la police, tantôt par les autorités pour déloger un point de vente. Leur calme est en permanence perturbé par les hurlements des guetteurs signalant le passage d’une voiture de police.

Certes, au milieu de ce climat hostile à une vie normale comme dans tout autre quartier, la violence n’éclate pas au quotidien. Mais certains événements d’une gravité exceptionnelle et d’une fréquence non négligeable la rappellent à l’esprit comme une préoccupation permanente : le sentiment que ça peut arriver n’importe quand. A plusieurs reprises, des tirs d’armes à feu ont éclaté en pleine rue et en pleine journée dans des endroits fréquentés du quartier, liés à des “règlements de comptes”, faisant des blessés parmi les passants innocents.

Dans la liste des drames survenus dans ce quartier en lien avec le narcotrafic, rappelons les plus graves, les plus tristes : 7 personnes innocentes de la même familles mortes dans l’incendie de leur immeuble ; moins d’un an et demi après, 2 personnes innocentes mortes, 5 autres blessées dans des tirs sur la principale place du quartier.

Dans l’objectif de lutter contre ce fléau, le rapport de commission d’enquête n°588 (2023-2024), déposé le 7 mai 2024 intitulé « Un nécessaire sursaut : sortir du piège du narcotrafic » constitue une ressource clef. Il établit un rapport clair, exhaustif et alarmant de la situation actuelle.

La loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic s’en est inspirée, mais elle n’aborde qu’une partie du problème: certaines lacunes subsistent.

Concrétiser la lutte contre la corruption. Le rapport de commission d’enquête met l’emphase sur l’émergence de la corruption des agents publics et privés, acteurs de toutes les étapes de production, d’acheminement et de distribution des produits mais également dans la gestion administrative et judiciaire des trafiquants. Il est également précisé que le phénomène corruptif est actuellement sous-estimé et que la sonnette d’alarme doit être tirée. La loi du 13 juin 2025 instaure un contrôle du personnel dans les administrations sensibles, les zones portuaires et aéroportuaires sans en poser des limites explicites. Nous proposons d’étendre ce contrôle à l’ensemble des acteurs privés ou publics impliqués dans le transport de personnes et de marchandises. La lutte contre la corruption doit également être appliquée sans relâche à l’ensemble des acteurs de la gestion judiciaire et sociale des trafiquants. Elle doit s’accompagner de mesures de protection des magistrats et policiers chargés de ces affaires.

Équiper les territoires ultramarins de manière adaptée au fléau. Le rapport de commission d’enquête fait état d’une situation préoccupante sur les territoires ultra-marins, clés de voûte malgré-eux du trafic de stupéfiants. Première étape du transit des marchandises vers la métropole et l’espace européen, ces territoires sont sous-équipés matériellement et humainement pour les dispositifs de contrôle des marchandises, de régulation du transport des substances et de répression des personnes impliquées. La loi du 13 juin 2025 instaure de nouvelles mesures métropolitaines majoritairement. Elle instaure néanmoins de nouvelles règles sur le temps de garde à vue et des mesures de restrictions de déplacement des “mules“ sans offrir de réponse dissuasive et préventive à leur embarquement dans les moyens de transport. Nous proposons d’établir de nouvelles mesures applicables dans les aéroports et ports ultra-marins afin d’accentuer les moyens matériels et humains pour lutter efficacement contre la circulation des substances. C’est en tendant une main fraternelle à nos concitoyens ultramarins que nous pourrons endiguer le point de départ de la circulation des substances.

Agir efficacement sur le trafic portuaire métropolitain. Le rapport de commission d’enquête fait allusion à un véritable « tsunami blanc » relatif à l’arrivée massive de cocaïne sur le territoire par voie maritime. Ce trafic s’effectue via les ports du nord-ouest de la France et notamment dans celui du Havre. La loi du 13 juin 2025 limite l’action dans les ports à la lutte contre la corruption. Nous proposons de porter de nouvelles actions et mesures de vigilance dans les zones portuaires, en particulier la protection des artisans marins-pêcheurs potentiellement confrontés aux menaces pour récupérer les ballots en mer.

De plus, la question de la prévention bien sûr est essentielle. Parmi la somme des troubles liés au trafic de stupéfiants, on compte l’état de santé des consommateurs embourbés dans le piège de l’addiction. Les produits vendus par ces filières ne sont jamais anodins, et entraînent bien souvent des drames individuels et familiaux qu’il est important de prévenir. Les campagnes grand public, à la télévision ou sur les réseaux sociaux à ce sujet sont trop rares, alors qu’elles ont un effet positif sur la consommation des produits légaux tels que l’alcool ou le tabac, en constante baisse. Le tabou qui entoure les autres drogues ne devrait pas être un obstacle à de telles campagnes.

Mais il existe aussi une autre forme de prévention à mener : celle contre l’embrigadement des jeunes dans le commerce des drogues. Outre tous les troubles déjà évoqués dans les quartiers sensibles provoqués par les trafics, s’ajoute une peur : celle des parents qui craignent de voir l’un de leurs enfants recruté par les dealers.

Souvent fragiles, certains jeunes peuvent être sensibles aux promesses largement exagérées des trafiquants : argent facile, une certaine forme de reconnaissance. La réalité leur est masquée : une hiérarchie impitoyable, des ambiances de travail violentes, des risques judiciaires élevés. Même la rémunération, qui peut leur paraître confortable, s’avère bien modeste au regard du nombre d’heures effectuées et de l’absence totale de protection liée au salariat légal. En réalité, ces jeunes finissent tout simplement exploités de la pire des manières, sans aucun recours. Pendant ce temps, ils auront été éloignés du système scolaire seul à même de leur offrir un parcours d’insertion dans la société.

Nous estimons qu’il est du devoir des pouvoirs publics d’offrir aux jeunes un contre-discours, qui rétablisse la vérité quant au métier de trafiquant.

À cette fin, la MIDELCA (mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) a édité en septembre 2024 un référentiel pour guider l’action publique dans la lutte contre la participation des jeunes aux trafics de stupéfiants.

Très complet et appuyé sur des retours d’expérimentations, ce document évoque des actions coordonnées dans de nombreux domaines : envers les jeunes eux-mêmes (lutter contre l’attractivité des réseaux, promouvoir la réussite, repérer les jeunes à risque, réponses immédiates dès les premiers actes…), leur famille (soutien à la parentalité, accompagnement des parents confrontés au problème…) et plus généralement les habitants du territoire (mobilisation des habitants contre le trafic, participation citoyenne à la politique urbaine…)

Nous pensons que ce référentiel devrait servir à généraliser ce type d’action, aujourd’hui subordonné à la bonne volonté des collectivités locales, à l’ensemble du territoire national. En effet, c’est à l’État de prendre la main là où les élus locaux peuvent manquer de moyens ou de volonté.

Enfin, la question de la légalisation ne doit pas être un tabou. Elle doit être évoquée sans a priori et avec pragmatisme. Il existe des exemples de légalisation du cannabis dans plusieurs États à travers le monde. Il convient d’en étudier avec objectivité les conséquences, afin de s’en inspirer le cas échéant. En tout état de cause, il nous paraît indispensable, si la France s’engageait dans cette voie, que toute la chaîne commerciale soit parfaitement distincte des réseaux criminels. Depuis la production jusqu’à la distribution au détail, en passant par les grands axes de transport, l’étanchéité doit être totale et assurée entre la voie légale et la voie mafieuse. C’est l’une des conditions indispensables pour rendre cette solution, si elle était souhaitable, admissible par l’ensemble de la population.

On le voit, les défis sont immenses et concernent de multiples facettes de notre vie en commun. Face à l’ampleur du phénomène, nous considérons que le Parti Socialiste doit, dans le cadre de son projet, et dans la perspective d’un retour au gouvernement, proposer des réponses ambitieuses, globales et efficaces.

Texte adopté à l’unanimité en assemblée générale de section

Paul Cuturello, secrétaire de section