Face à la concentration de la grande distribution, à la précarité paysanne et à la dépendance aux importations, une gauche moderne doit refonder une souveraineté alimentaire européenne : garantir le droit à l’alimentation, protéger les producteurs, réorienter la PAC vers l’agroécologie et relocaliser les filières, tout en soutenant la souveraineté alimentaire des peuples au Sud.
L’agriculture et l’alimentation ne sont pas un simple secteur économique : elles sont la condition de notre survie, la dignité de ceux qui produisent et la santé de ceux qui consomment. Or notre modèle agroalimentaire est pris en étau entre la concentration de la grande distribution, la pauvreté paysanne, l’explosion de la précarité alimentaire et la dépendance aux importations. Refonder une souveraineté alimentaire européenne, c’est organiser la reconquête démocratique de toute la chaîne de valeur. La stratégie « De la ferme à la table » du Green Deal a ouvert une voie vers des systèmes alimentaires durables, mais les reculs récents et l’absence d’un véritable pilier de souveraineté montrent qu’il faut aller plus loin.
1. Reprendre le pouvoir sur la chaîne de valeur
Il faut casser le pouvoir exorbitant de quelques centrales d’achat et de l’agro-industrie. La gauche doit proposer, au niveau français et européen, un encadrement strict des marges, la transparence obligatoire sur la formation des prix, des autorités de régulation dotées de vrais pouvoirs de contrôle et de sanction, ainsi que l’interdiction des pratiques contractuelles abusives imposées aux producteurs. Chaque euro dépensé à la caisse doit d’abord rémunérer correctement le travail paysan, avant d’alimenter les rentes oligopolistiques de la grande distribution et de l’agro-industrie.
2. Réorienter la PAC vers l’agroécologie et l’emploi
La PAC doit devenir l’outil majeur de la souveraineté alimentaire et de la transition agroécologique. Les aides doivent être plafonnées par actif et non par hectare, conditionnées à l’emploi, à la sortie progressive des pesticides les plus dangereux, au respect du climat et du bien-être animal. Les petites et moyennes exploitations, l’élevage paysan et les systèmes agroécologiques doivent être prioritairement soutenus, tandis que les modèles extractifs, hyper-intensifs et fortement dépendants des intrants fossiles sont progressivement redirigés ou exclus du soutien public. La PAC doit cesser de financer l’agrandissement sans fin pour, au contraire, sécuriser des revenus dignes sur des fermes nombreuses et résilientes.
3. Relocaliser les filières et protéger les terres
La souveraineté alimentaire suppose de relocaliser nos productions clés. L’Europe doit lancer un grand plan protéines végétales pour réduire sa dépendance au soja importé, sécuriser l’accès à des engrais durables et aux intrants stratégiques, protéger les terres agricoles contre l’artificialisation et la spéculation foncière, et investir massivement dans les infrastructures de stockage, de transformation locale et de logistique bas-carbone. Les circuits courts, les coopératives de producteurs, les outils de transformation publics ou d’économie sociale et solidaire doivent devenir la colonne vertébrale des territoires alimentaires, afin que la valeur ajoutée reste dans les campagnes plutôt que dans les bilans des multinationales.
4. Faire de l’alimentation un droit, pas une variable d’ajustement
Nous affirmons que l’accès à une alimentation saine, durable et choisie est un droit fondamental. Cela implique de créer une véritable sécurité sociale de l’alimentation, dotée de moyens publics, garantissant à chacun un panier alimentaire de qualité, fondé sur des produits bruts, frais et diversifiés. Les cantines scolaires, universitaires et hospitalières doivent basculer vers des approvisionnements locaux, durables et majoritairement végétaux, avec une tarification réellement sociale. La lutte contre la précarité alimentaire étudiante, les files d’aide d’urgence et le recours massif aux produits ultra-transformés n’est pas un supplément d’âme : c’est un impératif de santé publique et de dignité sociale.
5. Démocratiser et féminiser la gouvernance alimentaire
Cette souveraineté doit être démocratique et féministe. Démocratique, parce qu’elle s’appuie sur des conseils locaux de politique alimentaire associant élus, producteurs, chercheurs, associations, citoyens, pour définir des stratégies de territoire cohérentes avec les objectifs climatiques et sociaux. Féministe, parce qu’elle reconnaît le rôle central des femmes dans les métiers agricoles, dans les filières alimentaires et dans l’organisation quotidienne de l’alimentation, et garantit leur accès aux terres, au crédit, aux aides, aux responsabilités et à une protection sociale complète. La souveraineté alimentaire ne sera pas un nouvel ordre patriarcal des campagnes, mais une transformation.
Refonder notre agriculture autour de la souveraineté alimentaire, c’est faire de l’alimentation un bien commun, non un terrain de jeu pour les multinationales. C’est redonner du pouvoir aux paysans, de la santé aux citoyens, de la résilience à nos territoires et du sens à l’action européenne. À la gauche d’en faire un pilier de son projet pour le XXIe siècle.
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