Depuis quarante ans, la France a connu une perte massive de près de deux millions d’emplois industriels. Désormais, le secteur industriel ne représente plus que 9 à 10 % du produit intérieur brut (PIB) français, alors qu’il atteint 20 % en Allemagne. Ce phénomène de désindustrialisation a de lourdes conséquences : la souveraineté nationale s’en trouve affaiblie, le déficit commercial se creuse jusqu’à atteindre environ 100 milliards d’euros par an, et notre modèle social est fragilisé?
Chaque emploi industriel perdu entraîne la disparition de trois emplois indirects, amplifiant ainsi l’impact économique et social.
En 2025, malgré une timide reprise, l’emploi industriel demeure fragile. Sur un an, le secteur a reculé de 0,5 %, soit environ 112 000 postes supprimés.
Pourtant, les besoins de main-d’œuvre restent importants, avec 153 000 recrutements prévus dans l’année, ce qui souligne un déséquilibre persistant entre l’offre et la demande de compétences.
La question salariale aggrave ces difficultés. Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) net s’établit à 1 426 € par mois, tandis que le salaire médian plafonne à 2 190 € nets.
Les écarts de rémunération sont importants : les cadres perçoivent en
moyenne 4 600 € nets, contre 2 030 € nets pour les ouvriers. Les inégalités de salaire entre femmes et hommes persistent, avec un écart de 15,5 % à temps plein.
Ainsi, la France fait face à un triple défi : une précarisation de l’emploi, des salaires qui stagnent et une valeur ajoutée qui s’échappe à l’étranger, menaçant la pérennité de notre modèle social.
Propositions pour redonner du sens et de la valeur au travail
Axe 1 : Réindustrialiser pour recréer des emplois et financer le modèle
social
La réindustrialisation apparaît comme un levier central pour revitaliser l’emploi et assurer le financement du modèle social. Un plan ambitieux, axé sur la souveraineté des filières, propose de cibler dix secteurs stratégiques, dont l’énergie, la santé, l’agroalimentaire, le numérique, la mobilité et les matériaux bas-carbone.
L’objectif affiché est la création de 500 nouvelles usines d’ici 2030, générant ainsi 200 000 emplois industriels supplémentaires.
En complément, il s’agit de réserver une part des marchés publics aux productions locales bas-carbone, dans le but d’encourager le développement de l’industrie sur l’ensemble du territoire. Cette mesure vise à augmenter de 25 % les emplois industriels dans les zones rurales et périurbaines.
Un crédit d’impôt relocalisation, accordé sous conditions, encouragerait les entreprises à créer des emplois en contrat à durée indéterminée (CDI), à investir dans la formation et à partager la valeur créée.
Il est à noter que 87 % des contrats dans l’industrie sont déjà des CDI, témoignant d’une relative stabilité de l’emploi dans ce secteur.
Enfin, il est proposé de garantir un prix stable de l’électricité pour les sites industriels électro-intensifs, à condition qu’ils poursuivent leurs efforts de décarbonation et maintiennent les emplois locaux.
Axe 2 : Mieux rémunérer et partager la valeur créée
Un deuxième axe vise à améliorer la rémunération et la répartition de la valeur issue du travail industriel. Il s’agit notamment de rendre obligatoire une prime de valeur, permettant une redistribution automatique des gains de productivité.
En 2025, la productivité horaire atteint 46,4 €/h ; il est donc légitime qu’une partie de ces gains revienne aux salariés.
Le plafonnement de l’écart de rémunérations est également proposé, en encadrant le rapport interdécile (D9/D1), actuellement de 2,88 dans le secteur privé, pour le ramener à 2,5 d’ici 2030.
Enfin, toute aide publique serait conditionnée à l’octroi de salaires supérieurs aux minima de branche et à l’existence d’un plan d’égalité salariale.
L’objectif : réduire l’écart de rémunération entre femmes et hommes de 15,5 % à 10 % d’ici 2030.
Impact attendu des mesures proposées
La mise en œuvre de ces propositions devrait permettre la création de 200 000 emplois industriels en cinq ans, générant ainsi près de 600 000 emplois directs et indirects.
Le déficit commercial serait réduit de 30 milliards d’euros grâce aux relocalisations, tandis que la hausse des cotisations sociales (+10 milliards €/an) consoliderait le financement du modèle social.
Enfin, une meilleure redistribution des gains de productivité et une
réduction des inégalités salariales sont attendues.
Conclusion : La réindustrialisation, condition du rattrapage français
L’Allemagne conserve une base industrielle solide, représentant près d’un quart de son PIB (23% contre 9,5 pour la France).
Cette force structurelle permet au pays d’assurer des millions d’emplois qualifiés et de garantir un financement robuste de son modèle social.
À l’inverse, la France se retrouve fragilisée par une industrie réduite à moins de 10 % du PIB, la rendant dépendante des importations et amplifiant son déficit commercial.
Cette situation se traduit par une diminution des emplois stables, une baisse des cotisations sociales et une exposition accrue aux aléas économiques internationaux.
Si les niveaux de salaires horaires sont comparables, l’Allemagne tire avantage de sa puissance exportatrice pour maintenir un salaire médian supérieur, illustrant ainsi le lien entre industrie forte et prospérité sociale.
Laurent VIOLLEAU