Repenser les alliances économiques.

Les alliances économiques ne sont jamais neutres : elles traduisent des choix politiques, des visions du monde et des priorités stratégiques. Face au repli protectionniste des États-Unis et aux bouleversements globaux, l’Europe doit repenser ses partenariats, sortir de son tropisme occidental et s’ouvrir à de nouveaux pôles comme l’Inde. Sécurité écologique, sanitaire et numérique deviennent des critères clés, révélant que chaque relation commerciale incarne un projet de société.

Repenser les alliances économiques.

Les relations commerciales entre les hommes d’affaires étasuniens et européens se sont construites au siècle dernier, sur un socle de sécurité et de défense, considéré comme indispensable pour garantir un environnement stable aux investisseurs et aux détenteurs de capitaux.

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis et les pays européens ont compris qu’aucune dynamique économique durable ne pouvait émerger sans cadre géopolitique sécurisé. La création de l’OTAN a ainsi instauré une relation de confiance entre les acteurs économiques des deux continents, en assurant une protection commune contre les menaces extérieures et en consolidant une zone d’influence propice aux échanges. Dans cet espace stabilisé, les entreprises, les donneurs d’ordres, les acheteurs et les vendeurs ont pu opérer avec une relative sérénité.

S’ajoutent aujourd’hui des impératifs devenus centraux dans les décisions économiques contemporaines : la sécurité sanitaire, la sécurité écologique et la fiabilité des infrastructures numériques. La protection des échanges en ligne, en particulier, est devenue essentielle dans un contexte de digitalisation croissante des flux commerciaux et de multiplication des cybermenaces.

La sécurité écologique, dernièrement marginalisée par les autorités étasuniennes, revêt aujourd’hui une importance stratégique sous l’effet des changements climatiques, des catastrophes environnementales et des pressions sociétales. Elle transforme les équilibres économiques en imposant de nouveaux coûts de conformité, en redéfinissant les chaînes d’approvisionnement, en orientant les investissements vers des secteurs moins polluants et en influençant les comportements des consommateurs. De son côté, la sécurité sanitaire impose des exigences nouvelles en matière de traçabilité, de résilience et de dynamique scientifique.

Avec l’élection de Donald Trump, la sécurité des échanges est aujourd’hui remise en cause. Derrière le rideau du protectionnisme étasunien se joue une partition bien orchestrée : celle d’un repli stratégique au service des élites économiques. Relocalisation des usines, subventions massives, barrières douanières dressées comme des remparts — tout concourt à fortifier un bastion économique tourné vers lui-même. Ce n’est pas une turbulence passagère, mais une trajectoire majeure. Et dans son sillage, certains courants politiques européens, notamment les forces nationalistes et identitaires, y voient une source d’inspiration : celle d’un modèle économique fermé, centré sur la défense des intérêts nationaux, et présenté comme une réponse aux incertitudes du monde globalisé.

Au-delà des contrats et des indicateurs, c’est donc une bascule culturelle qui se dessine. Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe a pensé le monde à travers le prisme économique étasunien, les yeux rivés sur Washington et Londres. Les analyses, les récits, les décisions ont longtemps été calibrés à l’aune des gestes étasuniens, comme si l’histoire ne pouvait s’écrire qu’à l’ouest. Pourtant le globe bruisse d’initiatives diplomatiques en Asie, en Afrique, en Amérique latine. Des chefs d’État se rencontrent, des alliances se tissent, des équilibres se déplacent, mais le regard européen est resté trop souvent figé, hypnotisé par les États-Unis. Ce tropisme occidental nous aveugle, nous empêche de voir que le monde change, et que nous devons changer avec lui.

Dans ce contexte, la stabilité des relations entre les hommes d’affaires étasuniens et européens est parfois toujours présentée comme une nécessité stratégique. Mais cette stabilité n’est pertinente que si l’on souhaite maintenir les équilibres géopolitiques et économiques tels qu’ils existaient. Ils sont pourtant en perpétuelle évolution. Ce conservatisme devient une contrainte plus qu’un levier. Il fige les évolutions, ralenti les transitions et freine l’émergence de nouveaux modèles.

Face aux incertitudes d’aujourd’hui, il y a besoin d’impulser de nouvelles dynamiques, de redéfinir les priorités ou de réorienter les flux vers d’autres pôles.

Les entreprises européennes, plus perméables aux flux mondiaux, cherchent à ne pas sombrer. L’accord européen avec l’Inde, qui est en passe finale de négociation, est une invitation à lever les yeux, à sortir des sentiers battus, à penser les enjeux européens comme une entité politique capable de nouer des liens sans passer par l’oncle américain. C’est une opportunité, mais aussi une tentative risquée : celle de redéfinir sa place dans un monde qui n’a pas forcément attendu les hommes d’affaires européens, mais qui peut encore peut-être les accueillir.

L’industrie indienne devient une bouée, un relais, une échappée vers des marchés jugés dynamiques et rentables, des débouchés sécurisés, une respiration pour ce vieux modèle, qui veut toujours intensifier la circulation des biens et des capitaux.

Mais ils ne font en cela que préserver leur intérêts particuliers.

On évoque souvent des valeu

PIERRE DARD