Y’a-t-il encore un État-Providence en France ? Surtout, pour qui existe-t-il encore ? Guidés par les choix des gouvernements d’Emmanuel Macron, huit années d’offensive sociale ont méthodiquement affaibli notre système de protection sociale.
En 2026, le déficit de la Sécurité sociale atteindra 28,7 milliards d’euros, soit presque trois fois celui de 2023 (10,8 milliards). Dans le même temps, l’économie se robotise à marche forcée et l’emploi se contracte. Selon la Fédération Internationale de Robotique (FIR), les ventes mondiales de robots industriels ont été multipliées par cinq entre 2001 et 2017. Avec l’essor de l’intelligence artificielle, ces machines exécutent désormais des tâches toujours plus complexes et remplacent directement des travailleur‧euse‧s : un emploi sur quatre serait menacé par l’IA générative selon l’Organisation Internationale du Travail (OIT).
Et tandis que le gouvernement s’emploie à démanteler la protection sociale, il jette les travailleur‧euse‧s en première ligne face à cette mutation brutale. Ironie cruelle : ce sont pourtant leurs rémunérations qui assurent, à elles seules, près des deux tiers du financement de la Sécurité sociale. Pendant ce temps, la richesse colossale générée par la robotisation est confisquée par une poignée d’actionnaires, sans aucune redistribution vers celles et ceux qui en subissent les conséquences. Les travailleur‧euse‧s cotisent : pourquoi pas les robots ?
Selon la Cour des Comptes, « la trajectoire de la Sécurité sociale ne se redresse pas et l’accumulation de déficits conduit à la reconstitution d’une nouvelle dette sociale, de plus de 100 milliards d’euros d’ici à 2029 ». Et comme toujours, ce sont les travailleur‧euse‧s qui en paient le prix : déjà sollicité‧e‧s pour contribuer à l’effort de réduction du déficit, ils‧elles voient les ultra-riches continuer d’être choyé‧e‧s et protégé‧e‧s.
En France, près des trois quarts des dépenses de protection sociale reposent sur le travail humain. Avec la baisse de la population active et la stagnation des salaires, son équilibre vacille un peu plus chaque année. Pendant ce temps, le capital ne cotise pas. L’économie se robotise à marche forcée : machines et intelligences artificielles remplacent des travailleur‧euse‧s, mais ne participent en rien au financement de la protection sociale.
Selon l’OCDE, 16 % des emplois en France sont exposés à un risque élevé d’automatisation et 33 % risquent de voir leur manière de travailler profondément transformée. L’automatisation est déjà là : dans les grandes surfaces, les caisses disparaissent au profit de systèmes automatiques et les robots de nouvelle génération, dopés à l’intelligence artificielle, s’imposent déjà en radiologie, dans le droit, la comptabilité et la finance. Demain, des véhicules sans chauffeur circuleront dans nos rues.
Ces transformations technologiques annoncent une raréfaction du travail et une perte d’emplois potentiellement massive, tandis que les profits colossaux qu’elles génèrent échappent à celles et ceux qui produisent la richesse. La robotisation menace notre modèle social : d’un côté, elle remplace des femmes et des hommes qui cotisent, réduisant ainsi les recettes fiscales et aggravant le déficit de la Sécurité sociale ; de l’autre, elle accroît le besoin de financement de l’assurance-chômage, face au nombre croissant de travailleur‧euse‧s privé‧e‧s d’emploi.
Loin des promesses de désautonomisation et d’enrichissement des tâches confiées aux humains, la robotisation de notre économie constitue une véritable régression sociale. L’usage massif des robots et de l’intelligence artificielle ne se contente pas de supprimer ou de transformer des emplois : il modifie profondément la nature même du travail. De plus en plus, le travail humain se réduit au « travail non qualifié » des machines. Déjà en 2018, le rapport Villani soulignait le risque que l’usage intensif de technologies intelligentes rende les tâches plus routinières et réduise la capacité d’initiative et de réflexion.
Les travailleur‧euse‧s peu ou pas qualifié·e·s sont les plus exposé‧e‧s, au risque de voir leur rôle se réduire à celui de simples exécutant·e·s des ordres des machines. Comme le souligne l’autrice polonaise Joanna Maciejewska : « Je veux que l’IA fasse ma lessive et ma vaisselle pour que je puisse créer et écrire, pas que l’IA fasse mon art et écrive à ma place pour que je puisse faire ma lessive et ma vaisselle ».
Il est temps que le capital paie enfin sa part. Si les robots et les intelligences artificielles remplacent une part croissante du travail humain, alors la valeur ajoutée qu’ils produisent doit, elle aussi, être mise à contribution. Toute valeur ajoutée produite par ces technologies intelligentes doit être soumise à des cotisations, au même titre que celle issue du travail des salarié·e·s.
Une telle taxe freinerait le remplacement du travail humain, limiterait les destructions d’emplois et apporterait des ressources nouvelles à la protection sociale. Surtout, elle corrigerait les inégalités créées par cette nouvelle étape du progrès technique en transférant enfin une part de la charge qui pèse aujourd’hui presque exclusivement sur les travailleur‧euse‧s vers celles et ceux, actionnaires en premier lieu, qui captent les gains de l’automatisation.
Assez de profits qui échappent à la solidarité ! La taxe sur les robots est un impératif social !
Yoan Bellanger